« Ca sera combien pour une heure, ma belle ?
-Ca dépend du client, mon chéri ! »
L’euphémisme du siècle.
Effectivement, la vie coûte cher, à l’instar de ces femmes et de ces hommes qui vendent leur corps. Et c’est bien normal ; qui veut la formule maximale doit en payer le prix fort. Un oeil pour un oeil. Une petite fortune pour tout supplément. Remets-moi une sauce blanche, chef. Pas de réduction ? T’es sûr ? Mais je suis un client fidèle… C’est l’inflation, chef ! Fais un geste…
Flash info. On débarque pas tous sur le marché avec le même capital.
Vous le voyez, le costume-cravate aux cheveux soignés qui approche dans sa BM ? Traitement spécial pour lui, les filles. Il paye grassement. Il vous emmène dans les meilleurs hôtels. Faut pas le brusquer, il risquerait de quitter le business.
Par contre, le vieux derrière, celui-ci là vous essayez de le brusquer un peu, ok ? Il pue, il bosse à l’usine toute la journée. Il fait fuir les collègues de notre CEO adoré… Tenez, augmentez les tarifs, même. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus tenir le choc. S’il veut être mieux traité, il a qu’à se laver. Et s’il peut pas prendre de douche parce qu’il a pas payé sa redevance à EDF, c’est de sa faute ! Il a qu’à trouver un meilleur emploi.
« Oui mais Mister BMW, il réclame des trucs chelous…
-Ouais, je le vois tout le temps, il veut toujours plus de bails bizarres…
-Il kiffe bien quand on souffre… »
Ca, les filles, c’est pas mon problème. Le client est Roi, quand le client est bien habillé et propre sur soi. Si son âme est sale, ça n’a pas d’importance. C’est à l’intérieur, ça se voit pas. Les apparences doivent être préservées. Ce sont elles qui vous financent…
« J’ai surtout l’impression qu’elles te financent toi, hein. Avec tout ce que tu prends sur nos prestas, il me reste plus rien pour manger… »
En même temps, si tu prenais pas des lignes de coke à rallonge tous les soirs, t’aurais plus de thunes sur ton compte. Hein, Sandy ? Sale droguée. T’as qu’à investir dans un business plutôt que dans ton auto-destruction…
« Y a que ça qui me fait oublier que j’ai mal, après une session avec Mister BMW… »
T’as qu’à t’endurcir. T’as cru que la vie était gentille avec les fragiles ? Je ne crois pas, non. Regarde moi. J’ai fait des sacrifices pour en être là où je suis aujourd’hui… La vie se gagne pas sans efforts.
« T’es pas la soeur du Mac, toi ?
-Ouais, d’abord. Apparemment, t’as jamais fait de prestas, toi. D’où tu parles pour nous ?
-Si tu connais pas, l’ouvre pas. »
Les filles, ça fait dix ans que je gère ce business. Je sais mieux que vous comment ça fonctionne, hein. Ils sont où, vos chiffres, si vous êtes meilleures que moi ? Allez-y, montrez-moi vos comptes. Vous croyez que ça s’est fait tout seul ? J’ai pris des risques pour en arriver là.
« Mais le Mac te protège, de quels risques tu parles là ?
-A ce qu’il paraît, il avait payé tout le quartier avec l’argent de la fraude… Pour pas avoir de souci, il a même payé le juge !
-En vrai, je suis pas sûre qu’il en ait eu besoin… Le juge, je l’ai en client tous les lundis. »
Eh. Si le juge est fatigué de sa semaine, il a bien le droit de se reposer, hein. Il travaille dur pour arrêter les vrais criminels ! N’oubliez pas de fermer votre bouche, d’ailleurs. Vous aussi, vous êtes limite-limite, niveau légalité…
« Mais… on a pas le choix ? Tu veux que nos gamins meurent de faim ? »
On a toujours le choix. Arrêtez de me pleurer sur votre sort ; ça pourrait être pire.
Vous aviez qu’à pas pondre des gosses comme si c’était la basse-cour, ici. Je vous l’avais dit, que les capotes, c’est pas optionnel.
« Mais c’est toi qui a pris de la sous-marque… »
C’est l’inflation. Vous croyez que l’argent tombe du ciel ? On y revient : vous ne savez rien de ce que ça coûte, de gérer un business.
Vous avez qu’à travailler plus. Ca vous coûterait quoi, de prendre un client de plus dans votre journée ? Faites un effort, et on en fera un en retour. Regardez Sweetie ; elle, elle se donne à fond. C’est pour ça qu’on lui finance sa chambre de motel… Elle l’a mérité.
« Oui ben nous aussi, on taffe. Pourquoi c’est Sweetie qui obtient tous les avantages ?
-C’est vrai, ça. Elle devrait partager ! Elle prend tout sur notre dos…
-Une putain d’égoïste… Elle pense qu’à elle. Elle pourrait laisser des privilèges pour nous, aussi ! »
Les filles, vous savez quoi ? Vous avez raison. J’ai mal géré, j’aurais dû empêcher Sweetie de tout s’accaparer. C’est de ma faute, j’ai été injuste. Je vais lui retirer ses privilèges ! Ca sera plus égal.
« Euh, attends… Nous non plus, on y aura plus accès, du coup ? »
Bon, il va être l’heure d’aller bosser, les clients attendent ! On se bouge, on arrête le blabla. Et si vous bossez bien…
Ce soir, double ration de coke pour tout le monde ! Cadeau de la maison 🙂

Oui, la vie est une pute. La vie est une femme, pauvre et acculée, obligée de sacrifier chaque centimètre de sa peau au nom du capitalisme.
Une femme plongée dans un univers de criminalité et d’addictions, puis blâmée pour avoir choisi une de ces deux, seules et uniques, options.
Aujourd’hui, comme toujours, je me ferai voix de l’opinion impopulaire. Il nous faut légaliser la prostitution…
Et punir les vrais criminels : ceux qui s’enrichissent sous le capitalisme. Les exploiteurs, les égoïstes, les profiteurs d’un système moisi qu’ils ont conçu dans ce même but d’infinie oppression.
J’emmerde les riches, qui roulent dans leur BMW blindés au milieu des rues. Moi, je marche avec mes sœurs sur le trottoir.
Laisser un commentaire