Il était une fois un monde : Méritocratia.
Fin.
J’écourte l’histoire, parce que ce conte de fée a suffisamment endormi de personnes. Il est l’heure de vous réveiller. Fini, la tête sur l’oreiller, les yeux fermés sur la réalité. Désormais, on dit les termes, et on arrête de se bercer d’illusions.
Les termes que l’on ne veut plus entendre, au contraire, les voici :
« Je me suis fait tout seul. »
« Il faut travailler pour gagner sa vie. »
« Je mérite ce que je possède » et son pendant diabolique « les pauvres sont responsables de leurs problèmes, ces feignasses ingrates ».
Oui oui, Pierre-Edouard, ton salaire de 15000 boules par mois, c’est parce que « tu travailles dur » que tu le gagnes. Certainement pas parce que tes gros darons ont grassement payé ton école Top 10 en finance, non, quelle idée ! Encore moins parce qu’ils connaissaient ton futur patron, ce chef de banque qui n’a pour idée que de ramasser toujours plus de moula. Toujours pas parce que tu n’as jamais eu à te préoccuper d’autre chose que de ton propre nombril.
Non, toi, Pierre-Edouard, descendant d’une famille bien aisée bien sécurisée, ne dois tout qu’à toi-même.
Félicitations, Pierre-Edouard. Dans ce mythe qu’est la méritocratie, tu viens d’hériter du titre de Héros de l’égocentrisme.
Laissons donc notre cher bourgeois se rengorger d’autosuffisance, et posons-nous les bonnes questions.
QU’EST CE QUE LE MERITE ?
Comme le dictionnaire le Robert nous le raconte, « la méritocratie est une hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel. »
Intéressant. Une hiérarchie sociale est, par définition, une hiérarchie basée sur « la vie en groupe », là où ‘individuel » fait référence à quelque chose « qui concerne une seule personne ».
La méritocratie est donc une dichotomie – une opposition entre deux idées. C’est un concept basé sur la division.
Chose amusante (non), le capitalisme aussi : pour qu’il y ait des riches, il faut qu’il y ait beaucoup de pauvres. Si nous sommes tous à égalité, alors nous tombons dans le communisme.
Autre fun fact : un principe de guerre bien connu, c’est qu’il faut diviser, pour mieux régner.
Une image de notre société se forme peu à peu, et déjà, on voit qu’elle est bancale. Nous courons après un idéal inatteignable, ou en tout cas intenable, de par sa nature fissurée.

Mais au-delà de la méritocratie per se, demeure le mérite. Celui qui couronne le guerrier revenant victorieux de son champ de bataille, ayant violé et pillé tout un peuple désormais traumatisé. Celui qui auréole le nouveau CEO d’une entreprise exploitant des enfants innocents en Chine ou en Inde. Celui qui entoure Pierre-Edouard, alors qu’un jour de plus il refuse un prêt à un gueux aux abois.
Après tout, ils méritent, n’est-ce pas. Ils font quelque chose de leur vie. Ils la gagnent à la sueur de leur front.
Mais à la sueur de combien d’autres fronts, aussi ?
Ca n’a pas d’importance, apparemment. L’Histoire ne retient toujours que le version des gagnants. On le voit par exemple à travers la France. Une terre considérée comme un pays de résistants au cours de la Seconde Guerre Mondiale.
Dans les faits, 2 à 3 pourcent de la population ont résisté à l’envahisseur Nazi. Le reste a collaboré, ou s’est sagement tu, ce qui revient à la même chose.

Encore aujourd’hui, la mentalité de la masse demeure la même. Ces collabos parmi nous sont reconnaissables ; ce sont les mêmes qui blâment les chômeurs pour leurs misfortunes. Ceux-là qui dénonçaient leurs voisins pendant le COVID… mais qui n’interviennent pas quand quelqu’un se fait violer dans le train devant eux.
Ceux qui votent à droite. (data où je vote ?)
Ceux qui crachent sur les pauvres, en ignorant volontairement le fait que A) ils sont arrivés où ils en sont aujourd’hui parce qu’ils étaient privilégiés, et B) parce qu’ils sont égoïstes et n’ont pas de problème pour écraser quelqu’un pour se mettre en avant.
Ce sont toujours ces gens-là, les premiers à jeter la pierre sur les précaires déjà à terre, brandissant le mérite comme un Viking la tête coupée de ses victimes.
MAIS D’OU VIENT CE MYTHE ?
A l’origine, et bien que les avis divergent sur la question, le mythe du mérite serait né de l’école.
Le Café Pédagogique décrit l’école républicaine et élitiste comme « un modèle qui tire vers le haut les plus forts et ignore les plus faibles ».
Une théorie qui fait sens. L’école est le territoire par excellence de la Méritocratie et de ses prêcheurs. Qui en est déjà reparti avec une « mauvaise » note, et ne s’est pas vu accuser « de ne pas avoir assez travaillé ? » Qui n’a jamais reçu une réprimande pour avoir tenu un discours différent de son professeur ? Qui n’a pas été puni pour être parvenu à la bonne conclusion en mathématiques, mais en utilisant la « mauvaise méthode » ?
Dans un univers qui se prêche avide d’ouverture d’esprit, il est intéressant d’observer que notre centres éducationnels visent à punir ceux qui s’éloignent de la masse. Le même lieu dont il est dit qu’il enseigne la vie, n’enseigne qu’à chacun à accepter sa case attitrée. Une case prédéterminée par la naissance, par l’intelligence innée à chacun. Des réalités hors de notre responsabilité, auxquelles on ne peut rien changer, mais dont nous portons quand même la culpabilité.
Ainsi donc, bien que commençant tous avec des pièces différentes, aucun de nous n’aurait d’excuse pour ne pas gagner cette grande partie d’échecs qu’est la vie. Oui, Pierre-Henri a commencé avec un jeu complet ; oui, toi, là, t’as que trois pions, et c’est tout. Mais si lui arrive à te mettre en échecs et mat, c’est ce que c’est faisable, hein. Vous jouez au même jeu ! T’as pas d’excuses.
T’avais qu’à mieux jouer.
T’avais qu’à mieux travailler.

Entre deux opinions impopulaires, j’aimerais lancer une nouvelle bombe.
L’école n’est pas la productrice originale du mythe de la méritocratie. Elle en est le distributeur, pour reprendre le bullshit marketing qu’une école de commerce m’a enseignée.
(C’est bien la première fois qu’elle me servira à quelque chose.)
Comme nous l’avons vu, l’école ne sert pas réellement à instaurer une égalité des chances. Ca, c’est une illusion inventée par les aristots pour vous maintenir calme. Un peuple endormi et persuadé que dès demain, tout ira mieux, est un peuple qui ne se soulève pas.
Mais il n’y a pas d’égalité sous le capitalisme, comme on l’a vu. C’est pas le concept, c’en est le contraire.
Non, l’école, et a fortiori l’éducation nationale, sont là pour créer des légions de robots incapables de penser par eux-mêmes, parce qu’on leur a fait bouffer l’idée qu’être différent, c’est mal, et habitués à s’asseoir et obéir sans rien dire.
Une armée de travailleurs sacrificiels. L’agneau pascal, à la réception de l’Hôtel des CEO. A l’autel de la planète qui brûle, aussi.
Voilà…
A QUI SERT CE MYTHE ?
Aux riches, les gars. Aux privilégiés. Aux Pierre-Henri qui nous entourent. Qui nous noient, sous le feu de leurs paroles vides de sens mais mises en avant par l’école et par ce même mythe de la méritocratie.
Mais je vous vois venir d’ici.
« Et tu fais quoi de LeBron James ? D’Oprah ? De Kylian Mbappé ? Ils sont vraiment partis de rien. Regarde où ils en sont aujourd’hui ! »
J’ai pas mis Elon Musk, hein. Pour les élèves qui n’écoutent pas, je le répète : son père était millionnaire ; il s’est fait une fortune monstre sur le dos de la colonisation et de l’Apartheid, toujours rampants en Afrique du Sud.
Vive le racisme. Ca enrichit les bons joueurs du capitalisme – les mauvais joueurs de l’Humanité.
D’ailleurs, les trois exemples de vraie réussite self-made que je viens de vous donner sont noirs. Ce sont aussi trois exemples que l’on connait tous.
Pourquoi croyez-vous qu’on en entend autant parler ? Parce qu’ils sont la putain d’exception qui confirme la foutue règle. Parce qu’ils représentent un idéal. Parce qu’ils appuient cette idée fallacieuse que oui, avec suffisamment de travail, on peut se sortir des situations les plus sombres.
Une fois de plus, on oublie qu’ils sont nés avec des pions que tout le monde n’a pas. Le talent, une famille-soutien dans le cas de notre mythique footballeur, ou de la chance, quelque part sur leur chemin de galériens.
Des détails généreusement oubliés par l’Histoire. On y revient ; il faut vous faire rêver. Quand vous dormez, vous ne vous confrontez pas à la réalité. Quand vous entendez parler de success stories comme les leurs, quand on vous matrixe cette « possibilité » h24 dans les médias, vous pensez naturellement être les suivants sur la liste. Trois pauvres, noirs, issus de situations difficiles l’ont fait. Pourquoi pas vous ?
Parce que vous n’êtes pas nés avec la coordination de Kylian. Parce que vous n’avez pas rencontré les mêmes personnes que LeBron. Parce que vous n’avez pas le charisme d’Oprah.
Ah non, pardon. Parce que vous ne travaillez pas assez dur.
Parce que vous ne le méritez pas assez.
[…] Alors, mon cher ami de Tik Tok… Vas-y, toi, au tiers-monde. Toi qui détournes le regard quand tu aperçois un SDF dans nos rues bien blanches bien françaises de souche. Peut-être qu’alors, quand tu verras les conséquences du capitalisme, tu ouvriras les yeux.Parce que, flash info, tu resteras toujours plus proche du « clochard fainéant » et sans domicile que du millionnaire que tu crois devenir un jour.Tu auras beau donner toutes les heures de ta vie et tout ton corps aux CEO corporates qui rôdent dans les ténèbres, tu n’avanceras pas plus dans ton compte en banque que dans ta mentalité.Parce que si tu restes pas à ta place de pauvre esclave, eux ne peuvent pas rester à leur place de maître fouettard.Eh oui, flash info. La méritocratie est un mythe. […]
[…] pas ?Regardez notre propriétaire. Il a pris un risque, lui. Il gagne sa vie honnêtement. Il mérite son train de vie.Et s’il avait les fonds pour acheter dans l’immobilier parce que ses […]