« Je t’enverrais ça au tiers-monde moi… »
C’est ce qu’un mec blanc sauce mayonnaise du PMU m’a sorti, récemment, sur TikTok. J’ai eu le malheur de dénoncer les problèmes de notre société malade sur la plateforme. La droite privilégiée a su venir réagir.
Bien qu’opposée à l’immigration, bizarrement, ou plutôt, parce que ça l’arrange, elle s’est révélée parfaitement ouverte à l’EXportation. La mienne. Direction les pays pauvres, parce que j’avais craché sur notre beau pays qu’est la France.
Ah, le tiers-monde. Le fameux.
Pas de chance pour notre courageux commentateur, bien caché derrière son profil privé, je reviens tout juste d’un an passé à travailler dans les favelas de Rio de Janeiro.

C’est une longue histoire. Vous pourrez la retrouver dans mon mémoir/autobiographie, Omertà. Au programme, cafards de la taille de mon orteil, trafiquants armés de kalash, et la plus grande menace de toute : le capitalisme.
En attendant de vous retrouver au royaume du trauma, partons affronter celui du racisme.
Oui, lancer l’idée que le tiers-monde, c’est le Mordor, c’est raciste. C’est partir du principe que parce que la population des pays du Sud est généralement pauvre, alors elle est mauvaise et dangereuse. Quelle coïncidence, ces peuples sont aussi, la majorité du temps (toi l’Argentine je t’oublie pas), colorés.
Entre « ils sont pauvres donc dangereux », et « ils sont noirs donc dangereux », il n’y a qu’un pas. Un pas que les limités du bulbe comme notre commentateur TikTok du dimanche franchissent de plus en plus souvent, avec l’avènement en cours des mentalités fascistes et droitardes.
J’invite donc ce fan de BFMTV et tous ses potes peu éclairés à lire, s’ils en sont capables, « Pourquoi fumer, c’est de droite » d’Olivier Milleron. Je sais. Ca paraît aléatoire. On n’était pas sur le sujet de la clope ! Mais je n’essaye pas de vous enfumer la tronche, promis.
Dans son livre, l’auteur revient sur l’appropriation d’une plante, le tabac, par l’idéologie capitaliste. Une plante qui crée une drogue hautement addictive, et donc fortement lucrative. Une magnifique occasion de s’enrichir… S’il y a assez de produits pour satisfaire la demande à venir, n’est-ce pas.
Une plante qui pousse au Brésil. Mais qui ne pousse pas assez vite.
D’où, la bonne idée. Expédier des Africains réduits en esclavage dans ce pays sud-américain pour les faire cravacher, ces feignasses.

Problème. La demande poursuit son augmentation, une force inarrêtable… Qui se heurte à un objet immuable. Les Africains ne suffisent plus ; va falloir trouver une autre source de travailleurs.
Ah, mais attendez, chez nous les blancs, y a aussi des pauvres…
Allez hop, les bourgeois expédient les gueux sur les plantations de tabac pour filer un coup de main sous-payé aux esclaves pas du tout payés.
Sauf que l’union fait la force. La révolte menace au pays du cancer fumigène.
C’est là qu’on revient à ce principe de guerre bien connu : diviser pour mieux régner. Diviser les blancs et les noirs, pour qu’ils ne mènent pas combat ensemble. Et pour ce faire… Quoi de mieux que d’inventer un concept ? Celui de sous-humains. Celui d’une nouvelle caste, pour créer la dissension au sein des exploités, et qu’ils ne se retournent pas vers la vraie caste problématique : les riches, qui ont créé tout ça au départ.
Ainsi naquit le racisme.
« Alors que jusque-là, la hiérarchie sociale était basée sur la « caste » de naissance, l’idéologie raciste basée sur la couleur de peau est inventée par la classe dominante, d’une part pour justifier l’injustifiable, la violence, l’injustice et l’immoralité du système esclavagiste et, d’autre part, dans une visée de contrôle social, pour diviser les dominés lorsqu’elle a commencé à en avoir peur. »
(Pourquoi fumer, c’est de droite – Olivier Milleron)
C’est ainsi qu’on se retrouve avec un Brésil noir…
« les Noirs représentent 54% de la population du Brésil, ce qui fait du Brésil la deuxième population Noire au monde derrière le Nigéria »
https://www.anacaona.fr/les-afro-bresiliens/
Pauvre…
« En 2022, 33 % de la population se trouvait toujours sous le seuil de pauvreté, dont 6,4 % dans l’extrême pauvreté, et 100 millions de personnes ne bénéficiaient d’aucun système d’assainissement et n’avaient pas facilement accès à l’eau. » (amnesty)
Et blâmé par tous pour sa criminalité.
Comme je l’ai déjà dit, l’Histoire retient ce qu’elle veut du passé. Elle a réussi le tour de force d’établir une relation de cause à effet inversée, en l’occurrence.
Si on l’écoute, dans la voix de notre aimable TikTokeur, qui l’a appris de ses ancêtres colons :
Noir = sous-humain fainéant = pauvre = criminel parce que c’est la voie de la facilité.
Dans les faits :
Noir = exploité par les blancs capitalistes = pauvre = statistiquement plus au contact de la criminalité, et donc plus sensible à une chute dans le crime.
On se demande bien qui est le vrai sous-humain, dans cette histoire d’horreur qu’est le monde contemporain.
Le fait est que, pour un pays majoritairement noir, le Brésil demeure extrêmement raciste. Une fois, à Rio de Janeiro, je rentrais de soirée avec une pote carioca.
Sur le point d’entrer dans mon immeuble, nous fûmes interrompues par un gars que j’imagine bien fréquenteur de TikTok.
« Eh, toi ! C’est combien ?
-Va te faire foutre. »
Ma camarade de soirée venait de lui répondre, que je m’interrogeais encore sur ce que cet échange signifiait.
Il s’avère qu’elle avait l’habitude qu’on la prenne pour une prostituée. Elle était noire ; pour les blancs brésiliens, soit elle faisait le tapin, soit elle était femme de ménage.
Y compris dans son propre immeuble.
Un couple l’avait arrêté dans l’ascenseur de son bâtiment, une fois. Ils lui avaient demandé combien elle prenait pour nettoyer un appartement.
Eh oui, n’en déplaise à notre ami inéduqué de TikTok, les habitants du tiers-monde ne sont pas différents de nous autres. Ils sont tout aussi racistes et remplis de préjugés que lui ! N’est-ce pas fantastique ? La vraie égalité, à l’aune du capitalisme. Tous des cafards idiots et repoussants. Ca vend du rêve.
Mais ici, on ne vend pas du vent. On dit les faits, et les faits, les voici.
LES RICHES SONT TOUS LES MEMES
(des putains d’égoïstes)
Si le racisme est originaire du capitalisme, et que le capitalisme est une infection, alors les riches en sont les premiers porteurs. Tels ces cinglés qui cherchent à vous piquer à coups de seringues contaminées au VIH, les bourgeois propagent la maladie autour d’eux.
Le Brésil n’en est pas exempt.
Alors que j’errais dans les rues caniculaires de Rio de Janeiro, je me faisais souvent alpaguer par un SDF. Un coup de carton par ci, une prétendue menace de pistolet par là, je me retrouvais régulièrement en danger de mort.
Mais je sortais moi-même de la rue. Je venais de traverser la précarité totale pendant une très longue année ; je comprenais la rage qui habite ceux qui n’ont rien.
Rage, que je retrouvai devant ces vendeurs de clopes ou ces propriétaires riches de Copacabana. Ceux-là même qui blâmaient les SDF pour leur situation.
« C’est de leur faute, ils font rien pour se sortir de là… »
« Faut les ignorer. Ils sont tous violents. Que des drogués… Fallait pas consommer. »
« Franchement, ça fait fuir la clientèle… Faudrait les dégager de là, les SDF. »
Parce que c’est plus facile pour leur conscience très limitée, les bourgeois et classes moyennes ont tôt fait d’accuser les pauvres d’être responsables de leur précarité. C’est la même chose que l’on voit en France, avec un peuple prêt à se jeter à la gorge des chômeurs au RSA, au lieu de s’interroger sur les milliards que le gouvernement détourne chaque année.
C’est aussi la même chose que l’on voit avec les français au Brésil.
Les expats, comme on dit, pour promouvoir, toujours, cette idée de sous-humanité.
Immigrant = pas bien.
Expat = stylé.
Askip.
Moi, au Brésil, j’étais esclave stagiaire d’une française expatriée à Rio. C’était ma voie de sortie de notre pays maudit : un stage à l’étranger, des études pour l’obtenir, un prêt justifié par les études.
J’étais donc, femme de gauche par excellence, devenue l’hypocrite de service par la faute du capitalisme. Parce que je travaillais pour une européenne qui se faisait des milliers d’euros par mois au black, sur le dos de la favela qu’elle faisait visiter.
Et parce que c’était ça, ou retourner mourir en France, croulant sous les dettes et le désespoir.

Alors, j’étais obligée d’être l’assistante pauvre et non payée d’une riche sur-payée grâce au commerce de la pauvreté.
Magnifique.
Merci, le capitalisme.
C’est ça, que le système crée. Un monde de « choix » qui se résument à la peste ou le choléra pour la population générale. Un univers qui célèbrent ceux-là même qui ont créé ces mêmes options mortelles. Et un peuple qui n’y voit rien, les maladies lui grignotant le nerf optique.
Alors, mon cher ami de Tik Tok… Vas-y, toi, au tiers-monde. Toi qui détournes le regard quand tu aperçois un SDF dans nos rues bien blanches bien françaises de souche. Peut-être qu’alors, quand tu verras les conséquences du capitalisme, tu ouvriras les yeux.
Parce que, flash info, tu resteras toujours plus proche du « clochard fainéant » et sans domicile que du millionnaire que tu crois devenir un jour.
Tu auras beau donner toutes les heures de ta vie et tout ton corps aux CEO corporates qui rôdent dans les ténèbres, tu n’avanceras pas plus dans ton compte en banque que dans ta mentalité.
Parce que si tu restes pas à ta place de pauvre esclave, eux ne peuvent pas rester à leur place de maître fouettard.
Eh oui, flash info. La méritocratie est un mythe.
Comme toujours, eat the rich.
[…] de la série, « Sunrise on the reaping ».Plus exactement, un peuple auprès de qui l’on fait passer les esclaves pour des sous-humains, des êtres inférieurs.Ca vous rappelle quelque chose […]
[…] Paradoxalement, alors que c’est elle qui a fait de moi la cible à abattre dans ma famille, c’est ma propre capacité d’empathie qui m’a maintenue en vie, tout au long de mon existence. Parce que j’avais un animal à sauver, je ne me suis pas pendue ; parce que j’avais égoïstement mis en danger une amie, j’ai arrêté la drogue, horrifiée et honteuse de mes actions.Parce que j’avais connu la pauvreté depuis la naissance, je savais comment me comporter dans un lieu dangereux, comme les favelas de Rio de Janeiro. […]